Je vais commencer par plomber l’ambiance, direct, et parler de la bible. Je peux vous dire que si mes parents lisent cette lettre, ils risquent d’avaler de travers. La bible, c'était pas vraiment le roman de l'été chez moi quand j'étais p’tit… mais bon, faut bien se cultiver quand même.

Vous vous souvenez de l’Evangile de Jean ? Il commence comme ça,  en parlant du verbe, et ici, le Verbe, je l’associerai à La Parole.
Alors on y va avec l’Evangile.

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement auprès de Dieu.
C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.

Donc si on associe le Verbe a la Parole, on pourrait lire que c’est par la Parole que tout vient à l'existence, et que rien ne se fait sans elle.
C’est la dessus que je vous propose de réfléchir quelques minutes.

Le fait de nommer une chose permet donc de la créer, de lui donner une existence.
C’est déjà un point intéressant je trouve. Est-ce qu’une chose a besoin d'être nommée pour exister ? Non, pas vraiment, il y a sans doute des choses qui existent que je ne vois pas et auxquelles je n’ai pas eu encore besoin de donner un nom. Mais par contre, si je découvre cette chose, alors pour exister à mes yeux, dans mon esprit, je lui donnerai sans doute un nom. Au moins un nom de code, quelque chose qui me permettra de l’identifier.

Si la Parole est à l’origine de l’existence de tout, c’est aussi l’outil de prédilection de la transmission. Tous les enseignements, pendant des millénaires, on les a fait en utilisant la parole ; tous les récits, toutes les légendes, les Histoires, s’appuyaient sur la parole pour perdurer, on les colportait de bouches à oreilles.
Nos ancêtres les bâtisseurs transmettaient leurs savoir faire au sein de leurs loges, en discutant tous les soirs après les travaux avec leurs apprentis. En recevant des jeunes qui ne savaient ni lire, ni écrire, la parole était le seul moyen de transmettre et d’enseigner. Et c’était aussi un des moyens de se faire reconnaître d’un chantier à un autre puisqu’ils utilisaient des mots de passe transmis uniquement de Maîtres à disciples.
Donc pour la Franc-Maçonnerie, qui se définit comme étant une Société initiatique qui se fonde largement sur la transmission et la recherche de la vérité, la Parole est définitivement un pilier.

Et pourtant, malgré l’importance qu’on lui porte, on en prive nos jeunes apprentis dès leur initiation. A peine entrés, paf, on leur dit qu’ils vont pouvoir se taire.

Pourquoi ?

Avant de rentrer dans le pourquoi, je voudrais vous rassurer, on peut parler quand on entre en maçonnerie, avant, après la tenue, en atelier, qui sont des réunions qu’on fait en plus, par grade, ou alors pendant qu’on mange, tout ca... Mais pendant la tenue, à moins qu’on y soit invité, on ne peut effectivement pas demander la parole, on peut nous la donner, à titre exceptionnel, mais pas la demander.
Voilà, c'était juste pour clarifier… on est strict, mais on est quand même gentil.

Donc pourquoi ? On justifie souvent la perte de la parole pour les apprentis comme passage obligé pour remettre tout le monde à égalité et gommer les rapports de forces, la hiérarchie, et tout système de rang qui pourrait exister en dehors du temple. Tout le monde passe par là, que tu sois avocat, chauffeur de train, chirurgien, ministre, boulanger ou prof de physique, quand tu rentres en maçonnerie, tu te tais. Et ce passage obligé, ça dure en général autour d’un an.

Je sais que ça peut sembler étrange comme processus, très contraignant, mais il y a une raison à ça, plusieurs raisons d'ailleurs. La première, c’est que ne pas avoir à parler, ca permet d’observer, d’apprendre et comprendre un peu le rituel.

C’est compliqué quand tu commences d'observer la pratique d’un rituel. Ce n'est pas quelque chose que l’on fait très souvent dans la vie de tous les jours. En tous cas pas à cette échelle. On a tous nos petits rituels, le matin quand on se lève, le soir quand on se couche, dans quel ordre tu mets ton pyjama et te brosses les dents, etc. Mais la on parle d’un rituel plus long, qui organise une réunion qui peut durer facilement plus de deux heures.

Quand tu te retrouves assis sur ta colonne comme jeune apprenti, tu comprends rien. Pourquoi elle est assise là, pourquoi il tape sur la table avec un maillet, c’est quoi le truc qui pendouille au milieu du temple, pourquoi il est différent son tablier a lui ? Il y a beaucoup de choses à regarder et à comprendre au début, donc autant prendre le temps et pas s’empresser de vouloir en plus parler.
La deuxième raison, c’est que ça permet d’écouter avec une attention totale. Et quand on écoute avec une attention totale, on peut capter un peu mieux le sens des choses, un sens caché qu’on n’arrivait pas à appréhender avant parce qu’on était déjà entrain d'écouter nos émotions, nos réactions à chaud, et qu’on était en train de préparer ce qu’on allait vouloir dire, le plus souvent d’ailleurs pour dire qu’on n'était pas d’accord.
La, on n’a pas la possibilité de répondre, du coup on s’ouvre automatiquement beaucoup plus aux autres points de vue.

La perte de la parole fait en fait partie d’une quête de sens: moins on parle, plus on comprend et plus on sait.

Voilà pour aujourd’hui, c’était un peu plus long que d’habitude, il y a des matins comme ça on se sent bavard… C’est sans doute parce que lundi était férié et que je l’ai passé à profiter du soleil dans la piscine.

Ah et puis aussi, n’oublie pas de t’abonner si tu ne l’as pas encore fait, c’est juste au dessus, sur le bouton rose !
Demain, on continuera avec la Parole retrouvée, ou l’Art d’avoir quelque chose à dire. C’est pas une soiler, c’est juste pour te mettre l’eau à la bouche !
Comme d’habitude, merci de m’avoir lu jusqu’au bout.

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Tchao,
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